19 Oct Kin(d) Relations
EXPOSITION
Exposition collective
Une proposition de Julie Crenn, à partir de la composition du Group Show 2022 EMAP
Du 5 novembre au 30 décembre 2022
Antre Peaux – Transpalette
Entrée libre
Ouvert du mercredi au dimanche de 15h à 19h
Vernissage le samedi 5 novembre à 18h18
Artistes invité·es
Artistes issu·es des résidences EMAP 2022 / Stefanie Schroeder & Juliane Jaschnow, Paula Kaori Nishijima, Charlotte Jarvis
Artistes issu·es des résidences EMAP précédentes (5) / Margherita Pevere, Kat Austen, Liliana Zeic, Uh513 (María Castellanos et Alberto Valverde)
Artistes guests / Cécile Beau, Annabel Guérédrat, Josèfa Ntjam, Laëtitia Bourget, Shu Lea Cheang
Dans l’histoire et la pensée occidentale, les humain·es se pensent au sommet de l’organisation du vivant en tant qu’espèce supérieure aux autres, voire en tant qu’espèce qui existe en dehors de la nature. Le dualisme fabriqué entre nature et culture a tracé des sillons séparateurs entre les terrestres. Le terme de « nature » est, depuis bien trop longtemps, une construction de la pensée moderne occidentale qui place les humain·es en position extérieure au vivant. La « nature », en tant que concept, est un territoire à exploiter, à détruire, à remodeler, à coloniser, à dominer pour l’enrichissement des plus puissant·es. Ce territoire est réduit à une ressource. Opposé à celui de « culture », le concept de nature autorise la destruction, le contrôle, le pouvoir et l’organisation hiérarchisée du vivant. Ainsi, les individu·es minorisé·es par l’hétéropatriarcat ont été relégué·es au territoire de la nature. Iels ont été séparé·es de l’humanité à coups d’assignations afin d’être exploité·es, violé·es, silencié·es, objectifié·es, invisibilisé·es au même titre que les animaux, les plantes, les sols ou les océans. « Petit à petit, l’énorme évidence m’est […] apparue qu’une société qui définissait sa dignité par opposition à une nature indique qu’elle ne pouvait qu’entrainer ruine et désastre autour d’elle. L’idée que l’univers soit mort (fait de matière, dénué de vie et d’esprit) est un pilier majeur de la science moderne, de son autorité et de son existence-même. L’idée d’un univers vivant imposerait du reste des tas de limites éthiques à son exploration ; on ne fait pas l’autopsie d’un vivant. […] Cette idée de la nature comme univers mort fait de l’Occident une curiosité anthropologique. »[3]
Deborah Bird Rose (anthropologue) ajoute à ce sujet : “Le dualisme nature/culture occupe une place privilégiée. La culture désigne les êtres humains tandis que la nature renvoie au reste du vivant non humain. En creusant l’écart, l’humain·e transcende et domine tout ce qui diffère de lui, et la séparation est d’autant plus cruciale que les animaux sont des créatures les plus proches de nous, par leurs visages, leurs formes et leurs attitudes.”[4] Ielles ont fabriqué des outils, des dogmes, des religions et des sciences pour légitimer ce que Val Plumwood (philosophe écoféministe) nomme les “hyper-séparations” entre les êtres vivants, visibles et invisibles. Ces hyper-séparations participent d’une pensée binaire, anthropocentrée et destructrice. Depuis les années 1960 jusqu’à maintenant, les pensées écologiques, écoféministes, postcoloniales, décoloniales, queer ou encore ecosexuelles proposent des alternatives réjouissantes et urgentes à cette pensée monolithe. Des pensées qui réactivent la charge poétique / politique de ce qu’est la nature : “ce qui naît, ce qui pousse, ce qui engendre”.[5] Ainsi, à l’anthropocène, nous avons fait le choix de nous rallier au Chtulucène (Donna Haraway) et à son concept de natureculture. L’humain·e, « qui est littéralement l’humus, le terreux », n’est pas séparé du vivant[6]. Il s’agit alors de relier, de penser les relations (Édouard Glissant) qui existent entre nous toustes. De nous enlianer (Dénètem Touam Bona) pour ressentir et vivre ces liens profonds qui nous constituent et qui nous transforment en permanence. De penser le vivant comme un superorganisme qui s’est fabriqué dans un temps extrêmement long et au sein duquel tous les corps s’affectent les uns les autres.
Kin(d) Relations. Le titre de l’exposition articule la notion de kin (parenté) développée par Donna Haraway et la pensée de la Relation d’Édouard Glissant. Kin(d) Relations est ainsi pensée comme un poly-écosystème où les corps humains et non humains s’affectent mutuellement (Deborah Bird Rose). Par l’expérience des œuvres, l’exposition manifeste les manières dont nous nous affectons toustes, les interdépendances, les rhizomes et la symbiotique de nos existences visibles et invisibles. “La notion de rhizome serait au principe ce que je j’appelle une poétique de la Relation, selon laquelle toute identité s’étend dans un rapport à l’Autre. […] C’est aussi que la poétique de la Relation n’est jamais conjecturale et ne suppose aucune fixité d’idéologie. Elle contredit aux confortables assurances liées à l’excellence supposée d’une langue. Poétique latente, ouverte, multilingue d’intention, en prise avec tout le possible. La pensée théoricienne, qui vise le fondamental et l’assise, qu’elle apparente au vrai, se dérobe devant ces sentiers incertains.”[7] Kin(d) Relations manifeste une culture de l’attention, où les humain·es ne sont pensé.es ni au centre ni au sommet d’un système. Ielles agissent au sein de leurs habitats au même titre que toutes les autres espèces et entités. Il ne s’agit pas de parler de cohabitation, mais de coexistence d’une communauté terrestre animée par des réalités multiples.
Archipels – rhizomes – tentacules – parentés – espèces compagnes – allié.es / Ces notions aussi poétiques que politiques bouleversent les dogmes qui structurent les pensées occidentales. Elles nous invitent à “repenser ce que signifie accompagner, protéger, être en danger, ce qu’est vivre, pas seulement ce qu’est la « vie », mais ce qu’est la vulnérabilité, vivre et mourir, prendre certains types de risques pour être en compagnie de ou pour certains modes de vie plutôt que d’autres. […] Une espèce compagne n’est pas synonyme de bien ou d’harmonie. Elle n’est pas synonyme de quoi que ce soit. C’est une interrogation ; c’est une provocation à la réponse-habilité et encore plus à la capacité de réponse. Pour être en danger avec. Ainsi, dans ce sens, affirmer la relationnalité des espèces compagnes n’est pas une position traditionnellement humaine, bien qu’elle engage les capacités humaines. Je pense que la relationnalité des espèces compagnes n’est pas anti-humaine, mais elle n’est pas conventionnellement humaniste dans le sens où les êtres humains seraient la source de réponse ou de valeur.”[8]
Les œuvres présentées au Transpalette génèrent des situations d’entrelacements, d’enlianages, de rencontres, d’interdépendances (entre les œuvres, les propositions, mais aussi entre les visiteurs et les visiteuses), d’alliances symbiotiques, de parentés réelles et spéculatives. D’une bactérie à la croûte terrestre, en passant par les odeurs, les océans, les gaz, les cellules, les fréquences, les hormones ou encore les sources lumineuses, c’est l’ensemble du vivant qui est pensé et vécu comme une communauté poreuse, empathique, protectrice, désirante, affective, plus qu’humaine pensée d’une manière écoféministe, intersectionnelle, queer et décoloniale. Une communauté terrestre que, au-delà des réalités tangibles, les artistes explorent pour en proposer aussi des projections, des fictions nourries d’une spéculation narrative (Ursula Le Guin) qui n’est pas un simple outil littéraire, mais une manière de fabriquer des possibles. Une pensée collective et jubilatoire qui nous amène à repousser les limites imprimées qui cernent et contraignent nos imaginaires. Une pensée nourrie de relations inattendues, imprévisibles et nécessaires. C’est ainsi que le rapport aux nouvelles technologies et aux sciences devient le terreau de mondes illimités et multiples. En ce sens, les entrelacements entre l’organique et le technologique génèrent des ouvertures joyeusement surprenantes au sein du réel. Ils engendrent des réalités nouvelles au sein desquelles il nous est permis d’expérimenter les dimensions invisibles et infinies de ce que Glissant nomme la totalité, cette immense communauté des vivant.es avec laquelle il nous faut apprendre à nous réconcilier.