« De fait, ma masculinité cisgenre associée à ma blanchité ne m’orienta pas vers les savoirs minoritaires. Ainsi, je me suis satisfait, durant cette période, des savoirs dominants transmis par des structures toutes aussi dominantes. C’est à travers ma queerness que cet appétit s’est développé, plus tard, ma rencontre avec Peggy Pierrot (que vous retrouverez à de multiples reprises dans ma programmation) a transformé cet appétit en point de focus. Derrière ce concept de savoirs silenciés, j’entends l’ensemble des savoirs développé par des communautés minoritaires (faire une liste ici serait un échec d’exhaustivité) et le phénomène qui empêche, à la fois, la transmission intracommunautaire de ces savoirs entre générations de personnes concernées et leur curation puis circulation dans les savoirs dits mainstream.
Penser les savoirs silenciés, c’est aussi transformer nos regards sur les pratiques activistes. Médiatiquement, nous nous sommes habitué·e·s à percevoir l’activisme sous le prisme de la colère et de la violence. Et cela de par le caractère manifeste de l’utilisation de l’action directe. Cependant tout le spectre des émotions est en jeu, et l’amour est un des grands oubliés. Car finalement, est-ce que l’activisme ne serait pas l’expression d’un amour (pour sa communauté, ses proches humains et non-humains…) dans un espace-temps violent, « troublé et troublant* » ?
*Haraway, D. J. (2020). Vivre avec le trouble. édition les monde à faire.
« Je viens de ce qu’on appelle les écritures en mutation : brièvement, cela qualifie l’articulation de l’influence de l’actualité et du technologique sur les processus de création. Ma séroconversion m’a particulièrement amené à y intégrer les enjeux minoritaires. Quelles créations quand on n’a plus rien à perdre ? Quelles créations quand on nous laisse pour mort·e·s en se refusant même de prononcer le nom d’un virus qui tue nos familles choisies ? Quelles créations quand même la promotion des outils de prévention est censurée ? Si ces enjeux concernent tout particulièrement le VIH/sida, des questions similaires se posent pour d’autres conditions médicales : quelles créations quand nos cancers se développent à partir de l’inaction des États face aux pesticides, aux particules fines, à l’amiante pour ne citer qu’eux ? Quelles créations quand les traitements au prix si élevé ne peuvent être fournis qu’aux plus riches d’entre nous et/ou seulement dans les pays occidentaux ?
Réfléchir à la maladie comme partenaire, c’est aussi repenser la relation entre le corps et la maladie. Est-ce que je suis en dépit de la maladie, contre la maladie ou avec la maladie ? Les malades chroniques savent qu’une relation particulière se crée avec l’ensemble des symptômes, une relation plus complexe que les tentatives d’éradication complète dont on a l’habitude. Il s’agit de s’adapter, d’accepter et d’apprendre à vivre avec. Et si l’évolution des traitements a rendu vivables certaines maladies comme le VIH/sida, la vie des malades reste, encore aujourd’hui, un terrain de discriminations. »